Né à Carpentras en 1683, Mgr Malachie d’Inguimbert passe la majeure partie de sa vie en Italie et n’y revient qu’en 1735 à 52 ans comme évêque, charge qu’il exercera jusqu’à sa mort à 74 ans. Carpentras était alors la capitale du Comtat Venaissin dans le cadre des États Pontificaux, Avignon constituant une possession papale à part.
Très actif et entreprenant, il marquera profondément sa ville sur le plan spirituel comme sur le plan matériel en la dotant d’un hôpital de pointe pour l’époque - l’Hôtel-Dieu - et d’une vaste bibliothèque - l’actuelle Inguimbertine, ouverte au public dès sa fondation ce qui était également nouveau. Ce vaste programme social est ainsi résumé sur le socle de sa statue : « Ses libérales mains ont laissé dans le Vaucluse le pauvre sans besoin, l’ignorant sans excuse »
Dès le premier regard, la majesté et l’ampleur de l’édifice surprennent :
L’intérieur est à la hauteur de la façade. Le hall, très vaste, affiche la générosité de trois siècles de donations :
Un tableau par donateur, son nom, son blason s’il en a un, ses titres, son portrait :
L’escalier à double révolution s’ouvrant en éventail dans le hall est digne d’un château princier :
C’était la conception de l’époque : les pauvres aussi ont droit au beau car la beauté est un attribut de Dieu. Mais la fonctionnalité des ingénieurs était aussi au programme, chaque fonction est séparée : la cour d’honneur, le hall des visiteurs décoré des tableaux des donateurs et le grand escalier sont au centre du bâtiment. À droite, les chambrées des malades séparant les contagieux des convalescents :
À gauche, c’est le couvent des sœurs hospitalières qui resteront en fonction jusque dans les années 80. Les voici au XIXe siècle dans leur apothicairerie en train de préparer potions et onguents :
L’apothicairerie est du reste associée à leur espace conventuel. C’est une salle splendide dans le style de l’époque, entièrement en état avec ses pots décorés, ses boiseries cirées, ses tables marquetées en marbre, sa déco en « chinoiserie » alors à la mode, ses grisailles bleutées également très tendance sous Louis XV :
La vaste chapelle baroque est digne de la splendeur du bâtiment. Elle nécessiterait plusieurs photos. En attendant que vous alliez la voir et pour vous mettre en appétit, voici son autel :
À côté se trouve le tombeau (1) de Mgr Malachie d’Inguimbert (1774) dû au sculpteur marseillais Étienne Dantoine (1774). C’est un sarcophage de marbre rose posé sur quatre pattes de lion, surmonté d’un socle portant une inscription à la gloire de « Mgr Malachie d’Inguimbert, ornement et Père de sa patrie... » qui a légué sa bibliothèque et l’Hôtel Dieu à sa Patrie, le tout surmonté du buste de d’Inguimbert :
S’appuient sur le tombeau deux femmes vêtues à l’antique. À droite, l’allégorie de la charité sous la forme d’une femme allaitant un bébé, et à gauche l’allégorie de la foi : une femme méditant la tête baissée, un livre à la main droite, et des livres à ses pieds. Cette allégorie me semble difficile à interpréter : les livres sont sans doute les saintes Écritures, mais pourquoi la tête baissée et la main sur le front ? J’ai fini par penser que cela représente la méditation des saintes Écritures :
Et remarquons aussi entre le socle et le buste, une frise : un sablier affublé de deux ailes déployées. Le sablier ailé est un symbole funéraire courant à l’époque : le sablier symbolise le temps qui s’écoule beaucoup trop vite, comme le remarque déjà Job (14 ; 1-2) : le temps « fuit et disparaît comme une ombre », heureusement que les ailes de son ange gardien sont là pour l’emmener au Paradis quand son sablier sera vide :
Avant de sortir de l’Hôtel-Dieu, arrêtez-vous un instant sur la mosaïque aux armes de Malachie d’Inguimbert. On a beau être un homme d’Église - dévoué aux pauvres à qui l’on consacre sa fortune et ses travaux, on n’en reste pas moins un aristocrate fier de son passé et de ses ancêtres. « D’azur à quatre colonnes d’or et un chef de gueules chargé de deux étoiles d’argent » timbré d’une couronne... de marquis, me semble-t-il :
Mais l’aristocrate n’oublie pas qu’il est aussi un homme d’Église. Et là, notre Dom Malachie va se distinguer des évêques ordinaires dont le blason est surmonté d’un chapeau de sinople (vert) d’où pend une double cordelière à six houppes (pompons) sur trois rangées et d’une croix de procession à une traverse (réglementation de 1832). D’Inguimbert, lui, rappelle qu’il n’est pas un simple évêque, mais un « prélat di fiocchetto » (à petites houppes) qui sont des évêques de la Cour Pontificale : Son chapeau est rouge, sa cordelière porte dix houppes sur quatre rangs et sa croix de procession comporte une double traverse… Ne croyez pas que ce sont là des détails : il a pris soin de les représenter !
Le fait que le blason figure sur le seuil de la grande porte d’entrée a une double signification : allant visiter un malade, vous ne pouvez manquer de vous remémorer, au cas où vous l’auriez oublié, que le mécène est Mgr Malachie d’Inguimbert, noble et antique famille de Carpentras. Mais aussi, le passant est obligé de marcher - de piétiner ? - sur le blason du mécène, signe d’humilité. À vous de décider de la bonne interprétation.
François-Marie Legœuil
(1)La photo du tombeau de Mgr d’Inguimbert est sous licence : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hotel_Dieu_-_Tombeau_JD_inguimbert.jpg