Le Mont Ventoux est entré dans l’Histoire grâce à un poète - Pétrarque – qui raconta l’ascension qu’il en fit en compagnie de son jeune frère, dans une lettre à son ami et mentor le moine italien Denis Da Borgo San Sepolcro. C’était en 1336, au temps, au beau temps des Papes d’Avignon. Et c’était alors une telle excentricité, qu’il se crut obliger de s’en s’excuser en invoquant l’exemple d’un grand ancien, Philippe roi de Macédoine, qui avait gravi le mont Hémus en Thessalie : « j’ai cru qu’on excuserait dans un jeune particulier ce qu’on ne blâme point pour un vieux roi. »
Excentricité donc, mais aussi exploit sportif pour ces jeunes gens si cultivés, si intellectuels, si civilisés, citoyens de la capitale du monde qu’était alors l’Avignon papal. Car il ne faut pas oublier qu’ils ne disposaient d’aucun de nos équipements sportifs modernes, ces chaussures de marche, ces blousons légers, chauds et imperméables, ces thermos de boissons chaudes, ces tentes isolantes et autres sacs de couchage qui transforment aujourd’hui tout effort physique en moments de confort et de plaisir… À la rude époque des Papes d’Avignon, escalader le Ventoux restait une épreuve physique intense que nos jeunes gens reportèrent du reste en partie sur leurs deux domestiques transformés en mulets porte-bagages. Comme toujours chez Pétrarque, notre jeune sportif en tira une leçon de vie : le chemin vers « la vie bienheureuse » est aussi exigeant que celui qui conduit au sommet de notre Ventoux.
Six cent trente ans plus tard, le sport et le Ciel vont à nouveau créer l’événement sur le Mont Ventoux. En janvier 1961, le téléski de la nouvelle station du Mont Serein vient d’être inauguré et les chalets y poussent comme des champignons. On parle de se doter d’une chapelle. Nous sommes alors en 1965, le Concile de Vatican II vient de se terminer après trois ans de travaux. Certaines de ses recommandations en matière d’œcuménisme ont fait grand bruit. C’est donc tout naturellement que l’on se dirige dans cette voie en associant au projet, catholiques, protestants et juifs « afin de rassembler les fidèles, leur permettre de participer aux divers cultes, faciliter le dialogue. »
Les choses vont bon train : première pierre le 23 mai 1965, consécration le 16 janvier 1966 accompagnée par ce télégramme du Pape Paul VI qui avait présidé la deuxième moitié du Concile (un télégramme ? eh, oui mes bons amis : internet, SMS et autres Twits n’existaient pas encore, mais le style en était le même !) : « Occasion bénédiction Chapelle Œcuménique Mont-Serein Sa Sainteté appréciant heureuse initiative envoie grand cœur tous participants paternelle bénédiction… » La cérémonie traduit ce caractère œcuménique : Monseigneur Urtasun évêque d’Avignon, le Père Cyrille Argenti de la paroisse grecque de Marseille “Juste parmi les Nations“ pour avoir sauvé des Juifs dans les années sombres de la guerre, le Grand-rabbin de Marseille Israël Salzer, le Pasteur Henri Manen, lui aussi “Juste parmi les Nations“ et bien d’autres… Comme au vieux temps des cathédrales, tout dans l’édifice est symbolique et traduit cette volonté d’union. Sa structure triangulaire, signe « d’une ouverture totale envers tous » permet selon les architectes de s’opposer au Mistral grâce à sa pointe orientée au Nord, tandis que sa base tournée vers les cimes enneigées au sud, s’ouvre en totalité sur les champs de neige par une porte-cloison coulissante surmontée d’un immense vitrail éclairant tout le volume intérieur . Le niveau bas, « racine » de l’édifice, est affecté aux Juifs de l’Ancien Testament (la Bible), qui est la racine du christianisme, et le niveau haut (de plain-pied avec la route) aux trois composantes du Nouveau Testament (l’Évangile) : les Catholiques, les Orthodoxes et les Protestants.
Ce qui frappa beaucoup de participants lors de cette cérémonie, ce fut la verrière de la façade, cet immense triangle de verre qui occupe la moitié haute de l’édifice, la moitié basse étant la porte coulissante. Étonnante, cette verrière ! Car elle présente un aspect extérieur et intérieur totalement différent. En arrivant par la route, ce triangle se voit presque comme un tableau : des morceaux de verre coloré de toutes dimensions et teintes, enrobés dans un lacis de blancs rubans de ciment, eux aussi de toutes formes et tailles et qui dessinent un tableau abstrait. C’est ce lacis de ciment qui paraît dominer l’œuvre. De l’intérieur, au contraire, c’est le verre et la transparence des couleurs qui dictent leur loi. La lumière explose, sans que les thèmes et les figures traditionnelles émergent : quel en est le sens, se demandent beaucoup.
La personnalité de son auteur - l’Abbé Marcel Roy (1914-1987) - apporte peut-être une réponse. Sa vie est une aventure : né à Avignon, il y acquiert une formation de peintre en bâtiment, suit l’école des Beaux-Arts de la ville, puis celle de Bruxelles, devient peintre-décorateur et entre au séminaire diocésain. C’est là qu’il peut y admirer une peinture novatrice avec les tableaux du peintre cubiste Albert Gleize que Mme Gleize a accrochés en dépôt sur les murs du réfectoire. C’est la guerre, il s’engage dans la Résistance avec le journal Témoignage Chrétien. Prêtre à 29 ans à Cavaillon, il n’abandonne pas pour autant la peinture et le vitrail. Son parcours artistique épouse son siècle, du figuratif à l’abstrait. Ses peintures murales souvent monumentales et ses vitraux illustrent de nombreuses églises de la région : Cavaillon, Cheval-Blanc, Cairanne, Mont-Serein... et bien d’autres. Aujourd’hui, la chapelle œcuménique du Mont-Serein est défigurée. L’enthousiasme des débuts ne dura que quatre petites années, les fidèles se firent rares et les financements aussi ; en 1973 elle fut vendue à la Fédération des Œuvres Laïques du Vaucluse qui la transforma en chalet de jeunes en construisant sur toute sa façade une longue pièce vitrée : la magnifique et si symbolique ouverture sur le monde et les cimes n’étaient plus qu’un souvenir. Si vous désirez connaître plus avant l’œuvre de l’Abbé, Avignon, sa ville natale, vous offrira un magnifique résumé de son parcours artistique avec les décors figuratifs de la chapelle du séminaire aujourd’hui Archevêché, ceux de la Maison de retraite Béthanie, les jeux de lumière du Sacré-Cœur, et les splendides vitraux abstraits de Saint-Joseph Travailleur, bâtiment dû au célèbre architecte Gillet et classé Patrimoine du XXe siècle. Quant à ses tableaux, certains dignes des plus grands, pour les admirer, il vous faudra vous livrer chez des particuliers à un parcours du combattant sur la base d’une enquête à la Sherlock Holmes : l’Abbé Marcel Roy se mérite ! C’est dire si l’on attend impatiemment sa biographie et son catalogue : amis lecteurs, je lance un appel à candidature pour y participer, une belle aventure vous attend.
En 1948 eut lieu une exposition d’Art Sacré au Palais des Papes à laquelle participa Marcel Roy. J’en feuilletais l’autre jour le catalogue et dans l’introduction une phrase de Joseph Pichard, le fondateur de la revue L’Art Sacré, me parut particulièrement répondre à l’œuvre de Roy et en résumer tout le sens : « On ne pourra parler [d’Art sacré] que lorsqu’on aura édifié des églises nouvelles répondant à toutes les exigences de l’Art contemporain ».
François-Marie Legœuil