Passé Pont-Saint-Esprit, on s’enfonce dans le massif, la forêt s’épaissit, les lacets se resserrent, la pente s’accentue vers le fond du vallon aux chênes majestueux : une chapelle, un calvaire, premiers jalons de l’abbaye… une vigne dégage la vue sur des toits aux tuiles vernissées : c’est Valbonne et non la Bourgogne. Un somptueux portail forgé surmonté de
la Croix plantée sur le Globe souligné de la devise des Chartreux : « Stat Crux dum volvitur orbis » le Monde passe, la croix demeure… tout un programme tourné vers l’éternité et que protège un saint Michel à l’épée dégainée pour repousser le Malin. Passé un porche me rappelant l’Espagne, on franchit trois siècles : l’immense cour des frères convers dédiés aux activités agricoles. Un second portail mène à la chapelle des Étrangers, sorte de narthex gothique donnant accès à la superbe chapelle des Frères, elle-même séparée par un jubé du somptueux chœur des Pères où tout est merveille : les stalles, le plafond à la stéréotomie étonnante, le sanctuaire de marbre rose, l’autel-tombeau, de marbre aussi, les deux cathèdres de marbre blanc aux accoudoirs ornés du lion et du taureau, le dossier encadré de l’ange et de l’aigle… les quatre évangélistes, base de ce monde. Toute cette splendeur est due à l’un des Franque, célèbre dynastie d’architecte avignonnais. Et tout autour, s’ouvrent d’autres chapelles qui sont autant d’églises : chapelle de Ste Philomène, de St Joseph, de la Compassion, des Familles, des Reliques... la Salle du Chapitre qui, par un merveilleux petit escalier galbé débouche sur le petit cloître… Reste à voir bien des merveilles avant d’accéder au gigantesque cloître de 350 m bordé des petites maisons occupées jusqu’en 1901 par 22 chartreux, dépouillés et chassés par les guerres de Religion, puis par la Révolution, puis à nouveau en 1901. Promenez-vous en méditant dans le beau jardin entouré du cloître : poussez la grille du petit cimetière où dorment quelques témoins de l’ultime aventure de la Chartreuse. Le Pasteur Philadelphe Delord l’achète et y installe en 1929 une léproserie qui traitera jusqu’aux dernières années du XXe quelques 400 lépreux. Aujourd’hui, l’ensemble est encore debout et semble en bon état, mais l’immense toiture du grand cloître réclame poutres et tuiles neuves… Allez-y, l’endroit n’est pas envahi, prenez votre temps et vous vivrez une autre époque dans cette merveilleuse mécanique à remonter le temps où un monde de frères convers travaillait au domaine agricole pour permettre à un monde de trente chartreux de vivre, en ermites groupés, une vie de prière et de jeune… Un temps que la plupart d’entre nous ne plus peuvent comprendre : c’est à cette confrontation que nous sommes convoqués à la Valbonne.
François-Marie Legœuil